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Mens Alors !
15 janvier 2009

ECHANGE ET CREATION : QU’EST CE QUE C’EST ? Petit

ECHANGE ET CREATION : QU’EST CE QUE C’EST ?

Petit débat entre amis

Citations en entrée :

« On ne sait pas le pourquoi des choses que l'on fait. Quand je sais pourquoi j'aime une chose, je l'aime déjà un peu moins. L'oeuvre est intéressante dans la mesure où elle échappe aux intentions de son créateur et à l'explication de son spectateur. » Pierre Soulages, peintre

Evoquant l’enfermement subi par une étudiante russe sous Brejnev, plongée des mois durant dans le noir, devenue aveugle… une étudiante qui, à sa sortie, délivre à une amie ce qui sera, selon lui, LA grande traduction du Don Juan de Byron en russe, George Steiner en déduit que : « L’esprit humain est indestructible, totalement », « la poésie peut sauver l’homme, même dans l’impossible », « une traduction traduit ce qu’elle traduit, autrement dit langage et réalité ont un rapport » et « quatrièmement,  il faut être très joyeux »…

George Simmel analyse dans La tragédie de la culture, la mode et ses effets : « Nous ne cherchons pas moins le tranquille abandon aux êtres et aux choses que la façon énergique de nous affirmer vis-à-vis d’elles. (…) L’imitation libère l’individu des affres du choix. (Elle le) décharge de la difficulté de se soutenir soi-même. (Mais) l’imitation participe à la distorsion.»

« The proof of the pudding is in the eating », disait Engels

Questions-Réponses

“L’intégration de l’humain dans le collectif », objectif cité dans l’article de Libération du 4 août 2008. Quel rapport avec un festival ? Comment décrire les effets de la participation du public ?

C’est une nécessité. Et ce n’est pas une évidence. Au début il y a le manque, le besoin de s’associer à d’autres. Suit la négociation, la renégociation… la reconnaissance ou la cohabitation. Tout dépend d’une compréhension mutuelle, d’un accord. De même que social et politique peuvent signifier la même chose, le collectif est à l’humain ce que le public est à l’art : une chance. Comme l’est la Difficulté, devant laquelle nous sommes à la fois fascinés et devant laquelle nous avons l’occasion de nous affirmer, de nous soutenir nous-même.

Participer à une action culturelle peut transformer un individu dans ses relations aux autres et à lui-même. Mens alors ! cherche obstinément cet immense plaisir. Le plaisir de Manu, handicapé, qui chaque année vient danser avec l’Ermitage Jean Reboul, celui des comédiens de la Villa Cayeux qui paradent parmi les spectateurs, fiers du succès rencontré par leur spectacle, celui de Jean Pierre prêtant son tracteur et une charrette vieille de 200 ans pour les Vies minuscules avec Denis Michel…

Et leur plaisir est directement lié, dans un temps et un espace homogène, celui d’un festival, d’une semaine de fête, à celui de gens dont la vie a changé : Roxane ou Bertrand, venus de loin et devenus techniciens du son et de la lumière, de Frédéric qui a repris la musique et joue à l’Opéra, de ma mère qui a joué avec la Touffe et fait de la musique pour la PREMIERE FOIS. Ce temps du festival fait penser à celui du Carnaval. Un Carnaval ? A ceci près qu’à Mens alors ! les gens vont à visage découvert. La force de la transformation collective entraîne l’individu dans son intimité.

Nous partons de l’impossibilité d’un art sans échange. Nous y ajoutons la prise de conscience des menaces sérieuses pesant sur la liberté de l’artiste, pesant de fait sur la liberté du public d’accéder aux œuvres. Désenchantés, les pouvoirs publics renonceront-ils à soutenir un art « non rentable » ? Il faut reconnaître la tendance inéluctable devant les faits : cette menace sera exécutée si nous ne faisons pas preuve d’une nécessaire mise en question des termes de l’échange. Nous devons réussir.

Mens alors ! est une manifestation des vertus de la prise de risque, de la possibilité des rencontres créatives en tous sens, au-delà de la seule réunion des êtres, au-delà de la fête, au-delà d’une interactivité simpliste.

A noter une réalité pour les artistes, ce sont les concerts qui font vivre et il est difficile d’en trouver. La quantité de concerts ou d’expositions d’un artiste ne dépend pas seulement de son talent, mais aussi de sa capacité à se vendre. En regardant à la loupe, il est courant de voir de merveilleux artistes passer l’année sans défendre un projet personnel. Ces projets personnels sont le fruit d’une quête. Les artistes sont des explorateurs et leurs trouvailles ont le goût merveilleux de l’art, bien plus à mes yeux que les « produits » (programmes et répertoires) destinés à tourner. La forme est essentielle mais l’étincelle de vie dans une oeuvre est la clef principale pour la réussite de la rencontre avec le public.

C’est pourquoi Mens alors ! ne fait pas tant de la diffusion que du compagnonnage, de l’accompagnement dans la création... Hors de la capacité financière des institutions où la commande, les répétitions, etc. sont prises en charge.

Entre les artistes (professionnels, amateurs), avec le public, il n’y a plus de hiérarchie implicite, il n’y a plus que le choix de voir tel geste à tel endroit... et les confrontations qui en découlent. En création en particulier, l’oeuvre est lâchée en pâture aux regards. Des regards critiques, vifs, rétifs ou méfiants. Elle doit être capable de se soutenir elle-même. Et la modestie de moyens du festival place la création dans une certaine nudité (de petites jauges, des lieux multiples et changeants). La création (comme la sociologie ?) est un combat. Elle place le public dans une position telle, qu’il voit la fragilité. Cette position fait de la rencontre avec l’oeuvre une prise de risque.

Quand elle est un succès, cette rencontre est éminemment chaleureuse et valorisante, humaine et liante.

Beaucoup de festivals se construisent sur un partage des esthétiques et des publics, signe d’un certain statu quo et d’une situation sur les territoires de « post-démocratisation culturelle » où l’offre est dense, les programmations sont hiérarchisées. Les débouchés sont moindres que les oeuvres en circulation. Au sein de chaque « chapelle », les programmations se construisent sur une hiérarchisation des réputations, soit la mesure de la capacité supposée des artistes à attirer du public. Il y a des spéculations, des « bulles » et des « krachs ». Quand les stars, les « grands noms ou valeurs sûres » échouent, déçoivent, connaissent « un jour sans »…

Et en ces temps de disette, l’étau se resserre et la pression monte. Les festivals se multiplient qui font appel à de grosses têtes d’affiches, qui nécessitent des budgets pharaoniques et qui « instituent » cette hiérarchisation entre stars, artistes reconnus et jeunes talents.

Il est déraisonnable de se lancer dans cette course, et plus intéressant de se concentrer sur la qualité artistique des propositions.

Nous tentons de placer l’artiste et le public hors de cette foire d’empoigne. 

Mens alors ! pourrait s’appeler le festival de l’inattendu plaisir de vivre l’art ?

Oui.

Pour ouvrir à une construction de l’individu, l’art ne doit pas pousser des portes ouvertes, il doit ouvrir des portes. Or, les portes intimes qui font que l’individu se sent inclus, valorisé, intelligent, ne s’ouvre que difficilement quand elles sont fermées. Elles ne sont jamais fermées dans l’absolu, elles sont fermées par rapport à telle ou telle manifestation. Entre le volontarisme nécessaire pour se rendre au spectacle et le hasard de la rencontre avec l’art, quand il surgit, il y a chez le spectateur un mouvement presque physiologique qui peut aller de la construction à la destruction de son rapport à l’art, de son désir ou plaisir.

Touchant aux domaines du sensible, l’art réveille des pulsions et suscite des réactions d’autant plus vives qu’il est vif lui-même. La force du partage est ainsi autant dans la communion, dans « l’abandon aux êtres et aux choses » – autorisé par le confort d’un bal, la beauté de la langue de Pierre Michon ou de Racine, la majesté d’un récital de musique classique, de chanson, le spectacle de la virtuosité – que dans « la façon énergique de nous affirmer vis-à-vis d’elles » - le rock garage trop fort sans fauteuil dans un garage en l’état, la danse d’une personne handicapée, le silence à un concert quand on s’est levé à l’aube pour l’entendre -.

Passant du chaud au froid Mens alors ! est festival de l’éveil des sens.

Je renvois au goût de P Soulages pour l’irrésolu et à la citation de G Simmel en page 5, Mens alors ! est le festival des artistes et des arts qui se soutiennent eux-même. Aux artistes de s’appliquer une éthique de la conviction (plus ils « projètent » et plus ils « parlent » au public). Aux organisateurs de s’appliquer une éthique de responsabilité (les prix, les promesses, les ambitions techniques, la sécurité du public, la qualité de l’information). Alors le public peut accéder à une éthique de réceptivité. Celle dont G Steiner (seconde citation de la page 5, décidemment pas mis là par hasard), sous-entend qu’elle est tension, intelligence vive, de celui pour qui le Tragique et le Beau sont irreconciliables.

On peut rire, danser, on peut s’isoler et plonger dans des pensées graves. Mais à Mens alors ! on est invité à ne pas échapper à ces états, puis à en changer. On ne peut pas s’ennuyer.

Je cite G Steiner : « Il y a dans la réconciliation, comme dans la venue du messie, juste l’ombre d’un certain ennui. »

Comme je suis responsable, si je ne veux pas de réconciliation au sens de l’affaissement du sens et du désir, alors j’entre en confrontation avec le désir consensuel du seul plaisir, de la fête. La confrontation existe avec le public, les équipes, les partenaires, les artistes. L’enjeu est de faire de cette tension une tension positive. Ce qu’il est si bon de partager est alors le plaisir d’une construction politique, culturelle, belle : une réalisation collective qui soit aussi une réalisation personnelle.

On peut (doit ?) se passer de la tentation d’une mièvre réconciliation, où les désirs et les talents s’érodent. En revanche, on ne peut se passer d’amour. Comme disait un spectateur « Mens alors ! est le festival des gens gentils ». Je reconnais que ça puisse agacer…

Je comprend alors que derrière nos actions de lien social, puisse couver un certain nombre de questions et parfois une certaine tension. Dans la rue j’ai entendu des jeunes un peu agressifs dire « C’est facile les paraplégiques. » Facile ? Non. C’est plus facile de les laisser de côté. Ce ne fut pas facile pour eux ou pour nous de donner des personnes handicapées et leurs désirs intimes en spectacle (improvisation pendant le bal rigodon, Versailles story avec la complicité d’Emanuelle Cordoliani, de ses comédiens et chanteurs, Sylvain Groud, Renaître au parfum qui fait l’ombre douce et exposition désir d’enfant). L’exposition montrée cette année (J Bidermann et A Marvillet) le montre admirablement. Et ce ne fut pas plus facile de les faire danser avec d’autres danseurs « non handicapés » (Juha Marsalo, Déviation de parade). Montrer c’est donner une place. Donner une place c’est tout l’enjeu. Et leur façon de « dire » rejoint alors la cruauté à la mode du slam. La violence suscitée était connue. De même, à deux occasions nos propositions ont pu paraître « intrusives » : lors de la recherche de lieux privés, d’appartements pour les têtes à têtes ou la déviation de parade ; et lorsque nous avons sollicité l’apport chez les stagiaires d’un projet personnel.

Ces sollicitations, comme la recherche d’hébergeurs, d’objets rares et précieux, etc. font les espaces neufs, encore inexplorés, soudain partagés, qui irriguent Mens alors ! Mais leur exploration se heurte d’abord à la méfiance. Perçues autrement dans la dernière ligne droite, quand les équipes s’activent un peu partout, les portes s’ouvrent enfin… L’intrusion d’hier est alors une joyeuse occasion de partager, de créer la surprise, de participer, d’être valorisés…

Ainsi ce qui, dans un premier temps et sur la proposition d’un artiste, peut dérouter, est ce qui, selon le pari que nous faisons, crée le lien entre l’œuvre et le village, l’œuvre et les gens, l’œuvre et son contexte, indissociables désormais, générateurs d’un moment unique et précieux.

Une Université d’été sur les pratiques artistiques ? Sur la démocratisation de l’art ? Sur le (dé)cloisonnement culturel de la population rurale ? Sur la place de la jeune création artistique française dans les circuits actuels de création et de diffusion ? Sur les liens entre art et lien social ?

Ni l’un ni l’autre mais tout cela à la fois. Il n’est pas nécessaire de spécialiser artificiellement un festival pour qu’il rayonne. Il n’est pas nécessaire d’attirer des dizaines de milliers de personnes pour donner du sens à la rencontre avec l’art.

A l’heure du micro crédit, des consommations équitables, des énergies renouvelables, des mutualisations de moyens ou loisirs alternatifs, Mens alors ! affirme en un lieu l’intérêt d’une expérience artistique et sociale. Mens alors ! est un laboratoire pointu, responsable et solidaire. Mis en œuvre par des bénévoles pendant leurs vacances. 

Vous êtes bien sûr de vous, ne serait-ce pas une manifestation un brin prétentieuse, orgueilleuse ou péremptoire ?

Non, c’est impossible car c’est une œuvre collective, remise en cause si souvent qu’elle est modeste. Un festival si incertain qu’il est joyeux de le voir exister. Une réthorique écrite à plusieurs voix dissonantes.

Le festival peut déplaire mais pas ignorer les avis et les dédaigner.

Alors, clairement, il apparaît que l’art est une source inestimable d’animation, de décloisonnement, de dynamisme, d’élévation, de renforcement… du sens, des liens, des regards, du désir, des pratiques, des termes de l’échange, de l’activité économique. Mens alors ! défend consciencieusement la mise en mouvement de tous ces phénomènes en même temps… et de manière ordonnée, fluide et cohérente.

Devant un programme aussi hétéroclite, une question me vient, quelle en est la cohérence ?

Elle est artistique et humaine, de l’ordre du voulu et du ressenti. Elle est construite dans le collectif, les frictions et les confrontations aux autres. A Mens alors ! il y a quelque chose de la « couleur des voyelles », d’un embrasement risqué (car on aime ou pas) et « je est un autre », heureux du voyage. Le projet de Mens alors ! n’est pas naïf, il est optimiste.

Au-delà d’un débat sur l’art, le festival pose une question plus large ayant trait aux rapports sociaux et à la place – la légitimité ?- de l’autre, sous la forme de telle ou telle association, de telle ou telle forme de langage. La communion un temps subie déplace des lignes. Réactif, le spectateur ne tarde pas à devenir actif.

Certains préjugés ayant la vie dure, cette interrogation, ces débats sur la forme interroge la place des gens : de ceux qui aime le jazz ou pas, à ceux qui aime le rock, la danse ou pas… La question se déplace et appréhende tour à tour la place des jeunes, des anciens, des enfants en bas âge, des festivaliers, des étrangers, des handicapés… C’est incroyable comment le fait d’être « dansable » ou « écoutable » pour une musique peut violemment heurter la conscience et donner le goût du combat. Soyons fiers que rien (ou presque) de tout ce qui est emprunté n’ait été cassé ou perdu. Soyons conscients du calme retrouvé des montagnes. Soyons fiers de ne pas avoir menti en collant des étiquettes mensongères sur des spectacles difficilement « classables ».

Suivre le conseil de Pierre Soulages (page 2) et échapper aux explications, ce n’est pas fuir. C’est préserver l’art et la qualité de sa réception par le public. Cette qualité est celle de la liberté, laissée à l’interprétation de chacun, et crée un mouvement de bouillonnement merveilleux sur le seuil duquel certains clivages, certains désirs (pas toujours positifs) prennent ombrage d’un manque de repères. Les choses ne sont ni blanches, ni noires, et l’art flotte, multicolore. La chance que nous avons à Mens alors ! c’est de bien voir les bords, les failles et la fragilité de notre entreprise. Cela décuple nos efforts et notre plaisir.

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